Responsabilité du promoteur : décision intéressante de la Cour d’appel

La Cour d’appel de Montpellier a rendu une décision intéressante le 6 Avril 2023. Les défenderesses étaient les sociétés EDELIS-AKERYS ainsi qu’une banque qui ne jouait qu’un rôle marginal dans l’affaire.

Le commercialisateur la société Occitania Finances en liquidation n’était donc pas partie à l’instance.
La Cour a affirmé que le promoteur la société AKERYS ne pouvait éluder sa responsabilité en soutenant qu’elle n’était pas responsable de la faute du commercialisateur :

« Il ressort des pièces produites que si la SAS Akerys Promotion devenue société Edelis, n’est pas le vendeur du bien en cause, c’est elle qui dans le cadre de son activité professionnelle de promotion immobilière, s’est vue confiée la promotion des biens faisant partie de l’immeuble en état de futur achèvement et a conclu avec les consorts [W]-[I] le contrat de réservation de leur appartement signé le 7 mai 2008, ce contrat ayant été établi au nom de la SAS Akerys Promotion, représentée par la société Occitania Finances. Le fait que la société Akerys Promotion ait seulement donné mandat à la société Occitania Finances de rechercher des acquéreurs et de conclure un contrat de réservation en vue de cette vente ne fait pas obstacle à la possibilité pour les acquéreurs de rechercher la responsabilité délictuelle de la société Akeris Promotion, aujourd’hui Edelis fondée sur l’existence de fausses d’informations contenues dans des documents qui leur ont été remis par son mandataire et relatives à la rentabilité fiscale de l’opération alors même que l’un de ces documents comporte le logo de la société Akerys Promotion et que l’étendue de ce mandat est contestée par les appelants.« 

Les tentatives des promoteurs de se dissocier des agissements des commercialisateurs semblent de plus en plus vouées à l’échec.

La Cour a cependant débouté sur le fondement de la prescription les demandeurs pour des motifs auxquels il n’est pas possible d’adhérer.

Premier motif : les demandeurs se sont plaints d’une surévaluation du bien au moment de son acquisition et la Cour a jugé qu’il aurait pu se renseigner et qu’en tout état de cause l’immobilier fluctue. Ce dernier point n’est pas contestable mais les demandeurs, compte tenu du caractère atypique des acquisitions en défiscalisation, ne pouvaient prévoir l’ampleur de la variation.

Second motif :  le montant des loyers ne permettait pas de couvrir une mensualité d’emprunt et dès lors c’est dès la signature du bail que les demandeurs auraient du réagir. Ce motif est des plus étranges puisqu’il faut rajouter à tout le moins le montant de l’avantage fiscal. Il est possible, mais la décision ne le précise pas, que les demandeurs aient invoqué cet argument eux mêmes en sciant la branche sur laquelle ils sont assis.

Sur le point de la prescription, la décision n’est pas fondée et les demandeurs devraient saisir la Cour de cassation

Auteur : Me Thibault du Manoir de Juaye, avocat à la Cour.
Publié par Erin B. le 22 mai 2023.

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Obligations du commercialisateur de produits de défiscalisation

La Cour d’appel de Paris, dans une décision du 13 mars 2023, a rappelé de manière énergique les obligations pesant sur un commercialisateur de produits de défiscalisation en ces termes.

« Le rôle de la société Solly Azar a consisté à commercialiser un placement immobilier défiscalisant, son argument de vente étant non pas le bien immobilier en tant que tel mais l’avantage que pouvait procurer l’acquisition d’un bien financé par un emprunt, destiné à la location, en vue de bénéficier d’un avantage fiscal prévu par la loi.

Elle était donc tenue à une obligation d’information sincère et complète, devant la conduire à faire état des caractéristiques les moins favorables de l’investissement proposé et des éventuels risques encourus, qui peuvent être le corollaire des avantages annoncés.

Dès lors, en manquant à son obligation d’information, la société Solly Azar a commis une faute et est responsable du préjudice subi par les époux [S] consistant en une perte de chance, non pas de ne pas subir un redressement fiscal comme l’a indiqué le tribunal, car une parfaite information sur ce point n’aurait pas empêcher le redressement fiscal, mais une perte de chance de ne pas contracter.


Auteur : Me Thibault du Manoir de Juaye, avocat à la Cour.
Publié par Erin B. le 29 mars 2023.

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Résidences services : comment solliciter une réévaluation des loyers à la fin du bail

Dans les résidences services, le montant du loyer est souvent dérisoire et couvre à peine les frais ou remboursements des investisseurs malheureux qui ont été entrainés dans cette situation le plus souvent par des commerciaux indélicats.

Face à une telle situation, certains investisseurs sollicitent une annulation de la vente ou des dommages et intérêts pour défaut de conseil.

Il existe cependant une troisième voie qui est de solliciter une réévaluation des loyers à la fin bail.

En effet, sauf exception (par exemple pour les résidence étudiantes), les tribunaux jugent qu’une résidence service est monovalente ce qui permet de demander une réévaluation du loyer pour le porter au prix du marché.

Dès lors, comment déterminer la valeur du marché ?

Il existe en réalité plusieurs méthodes d’évaluation des loyers comme le rappelle justement la Cour d’appel de Poitiers, le 8 Février 2022 – n° 17/02335

  • la méthode par comparaison directe, affectée d’un coefficient 3, en comparant la résidence X à d’autres résidences services comparables sur le secteur géographique, le type de structure et la situation locative (dans 12 établissements dans la campagne des Deux-Sèvres, sur les secteurs de La Rochelle, Rochefort et Saint-Jean d’Angély), qu’à du logement « classique » en copropriété, en raison de la nature de ces logements, s’agissant d’appartements privatifs, et en appliquant une majoration de 15 % par rapport à ce marché compte tenu des services proposés
  • la méthode hôtelière, affectée d’un coefficient 2, par référence à l’article 145-36 du Code de commerce permettant de s’en tenir aux seuls usages observés dans la branche d’activité de résidences services seniors, en l’espèce par analogie à l’hôtellerie (méthode calculée en appliquant un « taux de recette » à la recette maximale « hébergement », corrigée par le taux de remplissage et des majorations en vertu des formules restauration et des recettes annexes
  • la méthode du ratio, affectée d’un coefficient 1, de plus en plus utilisée dans les articles de presse spécialisée pour déterminer la rentabilité économique des établissements médicaux sociaux de type EHPAD.


La Cour d’appel a cependant écarté cette dernière méthode et la première pour ne retenir que la méthode hôtelière.

Cette méthode consiste à partir du chiffre d’affaires corrigé de l’exploitant et de considérer qu’une fraction doit revenir au bailleur.

Le chiffre d’affaires est notamment corrigé en fonction du taux d’occupation, des services rendus par la résidence, et de la concurrence éventuelle.

Auteur : Me Thibault du Manoir de Juaye, avocat à la Cour.
Publié par Erin B. le 7 novembre 2022.

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Autre décision intéressante en matière de prescription transposable aux opérations de défiscalisation

La Cour de cassation a rendu une décision intéressante en matière de prescription transposable aisément aux opérations de défiscalisation.

Un associé d’une société civile apprend que sa belle sœur a acquis en imitant sa signature ses parts sociales. Il l’assigne mais la belle sœur estime que l’affaire est prescrite puisque la cession des parts a été publiée au greffe depuis plus de cinq ans .

Mais l’associé rétorque que le point de départ de la prescription est le jour où il a connu la fraude.

La Cour de cassation lui a donné raison en ces termes :

« 9. L’absence de consentement constituant, comme le vice du consentement, une cause de nullité inhérente à l’une des parties, le délai de prescription de cinq ans ne court qu’à compter du jour de sa découverte.

10. L’action en nullité de la cession de ses parts sociales engagée par M. [U] [O] en invoquant la falsification de sa signature s’analyse en une action fondée sur une absence de consentement.

11. Il s’ensuit qu’elle était soumise au délai de prescription quinquennal de l’article 1304 précité, courant à compter du jour où M. [U] [O] a eu connaissance de l’acte comportant sa signature falsifiée.

12. En second lieu, il résulte de l’article 1865 du Code civil que la publication de l’acte de cession de parts sociales au registre du commerce et des sociétés est destinée à assurer l’opposabilité de l’acte aux tiers. 

13. Il s’ensuit que la présomption de connaissance de l’acte résultant de l’accomplissement de cette formalité ne s’applique pas dans les rapports entre les parties à l’acte.

14. Ayant souverainement relevé que M. [U] [O], qui n’avait aucune raison particulière de consulter Infogreffe et de se rendre compte qu’il avait été dépossédé de la part qu’il détenait dans la SCI au moyen d’un faux, n’avait eu connaissance de ce faux que le 24 juin 2014, lorsqu’il avait porté plainte, la Cour d’appel en a exactement déduit que l’action introduite le 21 décembre 2016 n’était pas prescrite. »



Cette décision est bien entendu transposable en matière de dol et le point 14 est particulièrement intéressant puisque la Cour a jugé que le justiciable n’avait pas de raison de consulter le greffe, tout comme un investisseur lésé  n’a pas de raison de s’informer de la valeur de son bien avant la date à laquelle il peut vendre.

Auteur : Me Thibault du Manoir de Juaye, avocat à la Cour.
Publié par Erin B. le 25 juillet 2022.

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Des règles applicables à la prescription, des arguments pour les investisseurs lésés

Dans un domaine qui n’a rien à voir avec la défiscalisation, la Cour de Cassation vient de rappeler les règles applicables à la prescription ; ces règles peuvent être reprises par les investisseurs lésés pour répondre à l’argumentation des promoteurs selon laquelle la prescription court à compter de la date du contrat.

Vu l’article 2224 du Code civil :

– 13. Il résulte de ce texte que la prescription d’une action en responsabilité civile court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance.

– 14. Pour déclarer prescrite l’action des salariés, les arrêts après avoir énoncé qu’en application de l’article 2224 du Code civil, en matière de responsabilité civile, le point de départ du délai de prescription est la date à laquelle le dommage se manifeste au titulaire du droit, retiennent que le préjudice allégué, à savoir la restriction des possibilités du salarié de rechercher du travail du fait de l’application d’une clause dite de loyauté qui serait nulle, s’est manifesté au titulaire du droit lors de la signature de son contrat de travail contenant ladite clause, date à laquelle il a eu connaissance de la clause litigieuse, et non pas à la fin de la relation contractuelle.

– 15. En statuant ainsi, alors que le dommage causé par la stipulation d’une clause de loyauté illicite ne se réalise pas au moment de la stipulation de la clause mais se révèle au moment de sa mise en oeuvre, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE
, mais seulement en ce qu’ils déclarent prescrite l’action indemnitaire fondée sur l’application de la clause de loyauté, les arrêts rendus le 3 juillet 2020, entre les parties, par la Cour d’appel de Lyon ;

Remet, sur ce point, les affaires et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la Cour d’appel de Lyon autrement composée.

Auteur : Me Thibault du Manoir de Juaye, avocat à la Cour.
Publié par Erin B. le 18 juillet 2022.

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