La Cour de cassation reconnait qu’une simulation erronée constitue un dol

Cette fois-ci, c’est la Cour de Cassation (3e chambre civile 20 Avril 2022 Numéro de pourvoi : 21-12.304 et 21-12.357) qui vient de reconnaître qu’une simulation erronée laissant apparaître à la fin de la période d’immobilisation fiscale un gain important et totalement irréaliste constitue un dol que le promoteur ne peux contester.

Dans cette affaire le promoteur était la société Pichet et le commercialisateur la société Capitalys.

Cette décision est du « pain béni » pour les investisseurs lésés et elle est si importante que nous en reproduisons les éléments essentiels.

Faits et procédure

3. Selon l’arrêt attaqué (Pau, 18 décembre 2020), sur les conseils de la société Capitalys conseil, devenue IG2P, aux droits de laquelle se trouve la société Promotion Pichet (le mandataire), M. et Mme [S] (les acquéreurs), par procuration reçue par M. [P], notaire, ont acquis, selon un acte authentique dressé le 20 novembre 2009 par M. [I], notaire, auprès de la société civile immobilière Mestade (le vendeur), des lots dans une résidence en l’état futur d’achèvement à titre d’investissement immobilier locatif bénéficiant d’une défiscalisation.

4. Ils ont financé leur acquisition à l’aide d’un prêt immobilier souscrit auprès de la société BNP Paribas Personal Finance et assuré par la société Cardif.

5. Invoquant des difficultés de location et une perte de valeur des biens, les acquéreurs ont assigné le vendeur, son mandataire, les notaires et les sociétés notariales, la banque et l’assureur du prêt pour obtenir l’annulation de la vente et du prêt, ainsi que le paiement de dommages-intérêts.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal n° G 21-12.304 et sur le premier moyen du pourvoi principal n° R 21-12.357, ci-après annexés.

6. En application de l’article 1014, alinéa 2, du Code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal n° R 21-12.357

Enoncé du moyen

7. La société Promotion Pichet fait grief à l’arrêt de dire qu’elle a commis un dol et de la condamner à indemniser le préjudice causé aux acquéreurs, alors :

« 1°/ que l’erreur est une fausse représentation de la réalité ; que si l’erreur qui résulte d’un dol est toujours excusable, encore faut-il alors qu’une telle erreur ait été provoquée ; qu’un investissement immobilier, même effectué sous le bénéfice d’un mécanisme légal de défiscalisation, suppose de celui qui l’effectue l’emploi d’une épargne ou d’une trésorerie, c’est-à-dire des décaissements – périodiques le cas échéant – lorsque l’acquisition du bien est financée au moyen d’un emprunt, décaissements éventuellement amoindris du fait de la perception de loyers procurés par le bien et de l’économie fiscale permise par le régime légal applicable ; qu’il suit de là que les documents précontractuels relatifs à une telle opération ne peuvent induire en erreur l’investisseur immobilier s’ils présentent sous la qualification d’épargne ou de trésorerie les sommes que l’intéressé devra employer pour financer son acquisition et sous la qualification de gain fiscal l’économie d’impôt permise par la loi ; qu’en postulant au contraire de manière générale et abstraite, pour en déduire l’existence d’un prétendu dol, que les qualifications d’épargne ou de trésorerie, ainsi que de gain fiscal, utilisées par des documents précontractuels remis à des candidats à un investissement immobilier aux fins de défiscalisation, ne viseraient qu’à induire en erreur de tels candidats, comme désignant d’hypothétiques rentrées d’argent et non les décaissements naturellement entraînés par un tel investissement, la Cour d’appel a violé l’article 1116 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-231 du 10 février 2016, et l’article 1382, devenu 1240, du même Code ;

2°/ qu’en se déterminant par une considération d’ordre général, prise d’un prétendu caractère trompeur de certains libellés de la « simulation », à savoir les termes d' »épargne », de « trésorerie » ou de « gain fiscal », sans vérifier si, concrètement, les époux [S] avaient légitimement cru, du fait de l’utilisation des termes précités dans le document précontractuel qui leur avait été remis, que ces derniers désignaient d’hypothétiques rentrées d’argent et non les décaissements naturellement entraînés par un investissement immobilier aux fins de défiscalisation, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

3°/ que le dol, vice du consentement à un contrat, suppose une intention de tromper ; qu’en se bornant, pour regarder la société Promotion Pichet comme coauteur d’un dol ayant vicié le consentement des époux [S] et retenir sa responsabilité à ce titre, à relever une prétendue augmentation fallacieuse du « gain à 9 ans » mentionné dans cette simulation, par l’effet du recours à la valeur d’achat toutes taxes comprises, et non hors taxes, comme assiette de la prise de valeur nette du bien acquis, sans vérifier si c’était sciemment et aux fins de tromper les acquéreurs du bien, et non par l’effet d’une erreur involontaire, que la société Promotion Pichet avait fait référence à la valeur d’achat toutes taxes comprises, et non hors taxes, la cour d’appel a ainsi privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

4°/ que ni l’intermédiaire en charge de la commercialisation de biens à acquérir au titre d’un investissement locatif aux fins de défiscalisation, ni leur vendeur, ne sont tenus de procéder avant la vente à des calculs d’impôts personnalisés, avec application de toutes les déductibilités prévues par le Code général des impôts, d’où il suit que l’absence de fourniture préalable de tels calculs à l’acquéreur ne peut constituer un dol ; qu’en se fondant néanmoins sur un tel élément pour retenir l’existence du prétendu dol, la Cour d’appel a violé les textes susvisés ;

5°/ qu’en se bornant, pour caractériser le dol, à relever une prétendue absence de calculs d’impôts personnalisés, « crayon en main », avec application de toutes les déductibilités prévues par le Code général des impôts, sans vérifier si la société Promotion Pichet avait eu une quelconque intention de tromper les époux [S] en ne procédant pas à de tels calculs d’impôts personnalisés, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés. « 

Réponse de la Cour

8. D’une part, la Cour d’appel ne s’est pas déterminée par des considérations d’ordre général, mais a souverainement apprécié la portée des notions d’épargne, de trésorerie et de gain fiscal employées dans la simulation précontractuelle à l’égard de candidats à un investissement immobilier locatif défiscalisé.

9. D’autre part, après avoir procédé à une analyse détaillée de l’ensemble des documents produits et débattus entre les parties, la Cour d’appel, qui a retenu que le dol était démontré par un gain à neuf ans artificiellement augmenté environ du double en utilisant fallacieusement la valeur d’achat toutes taxes comprises (TTC) et non la valeur hors taxes du bien comme assiette de sa prise de valeur nette rapportée à la diminution du capital restant dû sur l’emprunt, que la revalorisation du prix TTC était destinée à endormir la vigilance des cocontractants et que les acquéreurs avaient été trompés sur le gain attendu, majoré quasiment du simple au double, a caractérisé l’intention dolosive du mandataire.

10. Elle a pu déduire de ces seuls motifs que le mandataire était responsable du préjudice causé par le dol commis au préjudice des acquéreurs.

11. Le moyen n’est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen du pourvoi principal n° R 21-12.357
Enoncé du moyen

12. La société Promotion Pichet fait grief à l’arrêt de la condamner pour dol à payer aux acquéreurs diverses indemnités, alors « que le juge saisi d’une demande en annulation du contrat ne peut, en l’état d’un dol, refuser de prononcer la nullité du contrat si, sans ce dol, la victime n’aurait pas contracté ; qu’il suit de là qu’en l’état d’un dol, le juge ne peut, tout en refusant de prononcer la nullité du contrat, regarder comme un préjudice réparable la perte d’une chance de ne pas contracter ; qu’en décidant, après avoir retenu l’existence d’un dol et pourtant écarté la nullité du contrat de vente conclu entre la SCI Mestade et les époux [S], de condamner la société Promotion Pichet, in solidum avec cette SCI, à les indemniser au titre d’un préjudice de perte de chance de ne pas contracter, la Cour d’appel a violé l’article 1116 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-231 du 10 février 2016, et l’article 1382, devenu 1240, du même Code. »

Réponse de la Cour

13. Ayant retenu qu’il n’était pas sûr que, sans la fraude, le contrat de vente n’aurait pas été signé, la Cour d’appel a calculé la perte de chance des acquéreurs sur la perte de valeur du bien net vendeur établie au vu des reventes intervenues sur d’autres lots, en excluant d’y intégrer d’autres coûts financiers exposés par les acquéreurs en raison des contreparties qu’ils y avaient trouvées dans la réalisation de l’opération maintenue.

14. Il s’ensuit que la Cour d’appel a souverainement évalué une perte de chance équivalente à celle de ne pas avoir contracté dans des conditions plus favorables.

15. Le moyen n’est donc pas fondé.

Sur le moyen du pourvoi provoqué n° G 21-12.304 et sur le moyen du pourvoi provoqué n° R 21-12.357, rédigés en termes identiques, réunis.

Enoncé des moyens

16. Les acquéreurs font grief à l’arrêt de rejeter leur action en responsabilité contre M. [I] et la SCP, notaires instrumentaires, alors :

« 1°/ que le notaire rédacteur de l’acte de vente d’un bien s’inscrivant dans une opération de promotion immobilière de défiscalisation est débiteur à l’endroit des acquéreurs d’une obligation d’information et de conseils adaptés sur les aléas juridiques, financiers et constructifs inhérents à l’opération ; qu’en rejetant la demande des époux [S], profanes en matière d’investissements immobiliers, tendant à voir engager la responsabilité de Me [Z] [I] et la SCP [I], Duron, Labache et Landais, notaire unique de l’opération de défiscalisation, qui avait rédigé actes de prêt et de vente, pour avoir manqué à leur obligation de conseil et d’information faute de les avoir alertés sur les risques pris par la souscription à une opération de défiscalisation, aux prétextes que les acquéreurs ne lui avaient pas demandé d’examiner la simulation qui était l’outil de la tromperie et que les conditions de l’opération ayant été portées à leur connaissance, le dol n’aurait pu être évité, la Cour d’appel, qui a ainsi nié l’obligation d’information et de conseil à la charge du notaire instrumentaire, a violé l’article 1382 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ que le notaire est tenu d’éclairer les parties et d’appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée, les effets et les risques des actes auxquels il est requis de donner la forme authentique en considération des informations à sa disposition ; qu’en l’espèce, la Cour d’appel a constaté que Me [I] centralisait la commercialisation d’une partie au moins du programme immobilier et devait s’assurer de l’information des acquéreurs quant aux risques présentés par l’opération ; qu’en excluant pourtant la responsabilité de Me [I] au titre de la teneur trompeuse de la simulation présentée aux acquéreurs, au prétexte erroné qu’il aurait appartenu aux acquéreurs de lui demander de contrôler la teneur de la simulation puisqu’elle ne constituait pas un document contractuel nécessaire à l’efficacité de l’acte, la Cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations quant à l’implication de Me [I] dans l’opération immobilière, a violé l’article 1382 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

17. Les notaires soutiennent que le moyen est irrecevable, dès lors qu’il est dirigé contre une partie qui n’a pas été attraite à l’instance de cassation par le pourvoi principal, ou à l’égard de laquelle le demandeur au pourvoi principal s’est désisté, et que la situation des demandeurs au pourvoi provoqué n’a pas été modifiée par le pourvoi principal.

18. Ces griefs visant le pourvoi et non le moyen, le pourvoi provoqué doit être déclaré recevable en application des articles 549, 614 et 1010 du Code de procédure civile, dès lors qu’il a été formé dans le délai du mémoire en défense, contre un défendeur à l’instance d’appel, peu important que celui-ci n’ait pas été attrait à l’instance en cassation ou qu’il y ait eu désistement du pourvoi principal à son égard, et que la situation de l’acquéreur qui a formé le pourvoi provoqué est susceptible d’être affectée par le pourvoi principal du vendeur et de son mandataire.

19. Le moyen, qui ne fait l’objet d’aucun grief spécifique, est également recevable.

Bien-fondé du moyen

20. Le notaire instrumentaire est tenu d’informer et d’éclairer les parties sur la portée, les effets et les risques, notamment juridiques et fiscaux, de l’acte par lequel elles s’engagent, dans la limite des possibilités de contrôle et de vérification qui lui sont offertes, des informations connues des parties et sans avoir à porter d’appréciation sur l’opportunité économique de l’opération.

21. La Cour d’appel, par motifs propres et adoptés, a relevé que le notaire avait envoyé le projet d’acte à l’avance aux acquéreurs, en prenant soin d’indiquer qu’il se trouvait à leur disposition pour répondre à toute remarque, et que ceux-ci ne lui avaient pas demandé de contrôler la teneur de la simulation, seul outil de tromperie utilisé, qu’ils n’avaient pas communiqué au notaire et qui n’était pas un document contractuel nécessaire à l’efficacité de l’acte de vente.

22. Elle a souverainement retenu que les acquéreurs savaient qu’en raison de la longueur de l’emprunt, le déficit mensuel perdurerait au-delà de la fin des avantages fiscaux et que, pour ne pas perdre l’avantage fiscal acquis, il leur faudrait revendre immédiatement le bien à l’issue de la période de neuf ans.

23. Elle a pu en déduire l’absence de manquement du notaire à son obligation d’information et de conseil.

24. Le moyen n’est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;

Laisse à chaque demandeur la charge des dépens afférents à son pourvoi ;

En application de l’article 700 du Code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt avril deux mille vingt-deux.



Auteur : Me Thibault du Manoir de Juaye, avocat à la Cour.
Publié par Erin B. le 28 juillet 2022.

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