Retour d’audience

Hier : Plaidoirie dans un Tribunal de Grande instance de banlieue. Décision du tribunal courant Février.

En face 3 confrères, l’un représente le commercialisateur. C’est la première fois que je le rencontre dans un dossier. Les autres confrères représentent la banque et le notaire. Nous plaidons les uns contre les autres depuis près de 8 ans.

Et nous nous connaissons bien. Le contact entre nous est faussement chaleureux, l’un d’eux m’a fait quelques entourloupes dans un autre dossier, d’où une certaine méfiance que je masque sous une amabilité de convenance.

En tant que demandeur, je plaide le premier. Le tribunal est composé de trois femmes assez jeunes et souriantes qui prennent beaucoup de notes lors de mon intervention. C’est agréable d’être écouté de cette manière alors que ce n’est toujours pas le cas. J’ose même quelques plaisanteries.

Le dossier plaidé est particulièrement complexe.

Cette fois-ci, la victime a investi dans les monuments historiques en investissant 80 K euros dans l’acquisition et 350 K euros dans des travaux en 2003. Cet argent vient de la vente de son fond de commerce. Le promoteur indélicat a utilisé l’argent destiné aux travaux pour d’autres opérations immobilières. Plusieurs dizaines de victimes sont flouées mais contrairement à l’habitude, je n’en représente qu’une.

Ma cliente exsangue financièrement a revendu le bien acheté en 2015 à moins de 60 K euros.

Sa perte est énorme et il faut y rajouter à la perte des sommes investies, les intérêts énormes versés à la banque, les loyers jamais reçus etc. Ce sont toutes les économies d’une vie que la victime destinait à sa retraite qui ont disparu.

Plusieurs arguments militent pour une indemnisation du préjudice par les protagonistes du dossier.

Le commercialisateur initialement était mandaté par la victime pour trouver un moyen de baisser ses impôts qui l’année de l’acquisition était particulièrement élevés, compte tenu de la cession du fonds de commerce.

Il a proposé un unique produit à la victime alors que d’ordinaire les conseils en gestion de patrimoine soumettent à leurs clients plusieurs possibilités de défiscalisation. Le fait de n’avoir proposé qu’un seul produit conduit à une responsabilité renforcée, voire à une obligation de résultats (c’est-à-dire que le commercialisateur dans une telle hypothèse garantit le résultat qu’il a annoncé à la victime).

Et faute contre lequel le commercialisateur aura du mal à se défendre, il n’a jamais averti sa cliente des risques de l’opération. Il ne s’est jamais intéressé à la solvabilité du promoteur. Pour sa défense le commercialisateur soutient que la cliente avait la possibilité de souscrire un contrat d’accompagnement en vertu duquel il lui aurait conseillé de ne plus avancer des fonds sur les travaux. Mais pour nous, la faute est située à l’origine.

Au notaire, la victime reproche de ne pas avoir prévu une garantie d’achèvement extrinsèque et de ne pas l’avoir avertie sur les dangers de l’opération.

Comme cela arrive dans la plupart des dossiers de défiscalisation, la victime a donné procuration et elle n’a jamais rencontré le notaire qui n’a pas pu lui donner de conseils.

L’avocat du notaire se défend en avançant des arguments qui ne figurent pas dans ses conclusions et qui ne devraient pas en tout logique être retenus par le tribunal.

Les arguments inédits soulevés à la barre ne sont pourtant pas dépourvus d’intérêt. La loi Malraux sur les Monuments historiques prévoit que les travaux doivent être faits à l’initiative des propriétaires, ces derniers devant adhérer à une Association Syndicale Libre (ASL ou parfois AFUL) et à l’avocat du notaire de trompeter qu’il n’était pas possible de donner dans ces conditions une garantie extrinsèque ou intrinsèque. Mais dans le cas précis, aucune pièce n’est versée pour montrer l’existence de cette ASL et la victime a payé les travaux à une filiale du promoteur. L’argument du notaire devrait donc s’écrouler de lui-même.

L’avocat de la banque met en avant le fait qu’il n’était pas tenu à un devoir de mise en garde car le client avait largement la capacité de rembourser. Je m’étais élevé dans ma plaidoirie contre cet argument car cela revient à dire que l’on ne condamne à payer que ceux qui ont les moyens de rembourser. Pourquoi les « riches » auraient des capacités supplémentaires pour comprendre les risques inhérents à ce type de montage ? C’est une justice de classe et ma cliente qui a perdu tout son capital retraite ne peut pas comprendre qu’elle soit considérée comme une nantie !

Deux longs mois d’attente pour la décision. Le temps de la justice n’est décidément pas le temps des victimes.

Auteur : Me Thibault du Manoir de Juaye, avocat à la Cour.
Rédigé le 17 décembre 2015.
Publié par Erin B. le 21 décembre 2015.

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Téléphone au 01 40 06 92 00 (8h-20h en semaine – 8h-13h le samedi).

Pour témoigner :
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