Loi Malraux – Monuments historiques, une décision importante

Les arnaques à la défiscalisation sur le fondement de la Loi Malraux fonctionnent toujours sur le même principe ou presque :

Un contribuable a un pic de revenus ponctuels liés par exemple à la vente de son fonds de commerce ou à une prime de départ en retraite ou de licenciement.

Ce contribuable cherche alors à éviter l’imposition en achetant un produit Malraux qui va lui permettre de générer un déficit fiscal (égal au prix d’acquisition et aux sommes versées pour les travaux) qui va compenser le surcroit de revenus.

Un produit Malraux est un bien immobilier ancien, situé par exemple dans le centre historique d’une ville et l’investisseur peut alors déduire de son revenu le prix d’acquisition et le montant des travaux qui sont versés en une seule fois.

Le montant des travaux transite le plus souvent par le biais d’une association foncière urbaine libre (AFUL) ou d’une association syndicale libre (ASL).

Le danger est qu’il n’y a aucune garantie apportée sur la réalisation des travaux et que l’entreprise de bâtiment à laquelle les fonds sont versés peut déposer son bilan, disparaitre etc…

Dans cette hypothèse, l’investisseur lésé se verra réclamer à nouveau les fonds nécessaires à la réalisation des travaux et essaiera de se retourner contre les différents intervenants du dossier.

C’est ce qui est arrivé à Madame S. au profit de laquelle la Cour d’appel de Versailles a rendu le 9 mars 2018 une décision parfaitement motivée et rédigée, même si le montant des dommages et intérêts n’est pas aussi élevé que l’on aurait pu espérer et si l’arrêt ne répond pas pleinement à la demande de Madame S.

On ignore compte tenu du caractère récent de la décision si les parties ont décidé de se pourvoir.

Madame S. vend donc son fonds de commerce de pharmacie et elle est approchée ou se rapproche d’un cabinet de gestion en patrimoine (qui sous-traite plus ou moins le dossier), la société CINCINNATUS qui lui propose d’investir dans des appartements réalisés dans le Château d’abondant sous l’égide de la société Barbatre.

Ce château est une superbe propriété qui, au début vingtième, fut reproduit sur la carte postale suivante :

C’est dans ces conditions que Madame S. a acquis, auprès de la Sarl Financière Barbatre, pour un montant de 81 718 euros, selon promesse de vente réitérée par acte de vente signé le 17 novembre 2003 devant des notaires associés à Nice (bien connus hélas dans le domaine de la défiscalisation), quatre lots dans la copropriété du Château d’Abondant, immeuble à réhabiliter destiné à être exploité en résidence hôtelière par la SA Résidence Les Ducs de Chevreuse, à laquelle a été consenti, le même jour, un bail commercial.

Elle emprunte concomitamment une somme de 423 590 euros auprès de la CRCA Mutuel d’Aquitaine, finançant son acquisition à hauteur de 96 718 euros correspondant au prix d’achat des lots et aux frais, le solde étant destiné au financement des travaux de réhabilitation.

La société SOGECIF était chargée de réaliser les travaux. C’était en réalité une filiale du promoteur.

La financière Barbatre et SOGECIF n’ont jamais réalisé les travaux d’où le procès qui a abouti à la décision de la Cour d’appel de Versailles.

La Cour condamne, en des termes qui mériteraient d’être repris, les notaires intervenant

« que le notaire est tenu d’informer et d’éclairer les parties sur la portée et les effets ainsi que sur les risques de l’acte auquel il prête son concours et le cas échéant de le leur déconseiller ; que cette obligation doit prendre en considération les mobiles des parties, extérieurs à l’acte, lorsque le notaire en a eu précisément connaissance ;

Que si le notaire n’est pas tenu de procéder à des recherches particulières sur l’opportunité économique de l’opération envisagée et sur la solvabilité des parties, en l’absence d’éléments d’appréciation qu’il n’a pas à rechercher, il n’en va par conséquent pas ainsi lorsque l’opération porte, en elle-même, les stigmates de son inopportunité économique, celle-ci pouvant conduire à sa remise en cause ; 

….

; qu’en conséquence, eu égard à l’importance de ces travaux, le notaire se devait d’attirer l’attention de Mme S. sur l’aléa essentiel de cet investissement immobilier de défiscalisation que représentait l’absence de toute garantie de bonne fin desdits travaux ; qu’il importe donc peu à cet égard que le décalage entre la valeur du foncier et l’importance des travaux de réhabilitation participe du mécanisme même de l’investissement choisi

la SCP des notaires avait le devoir d’informer l’acquéreur du caractère risqué de l’opération en cause, devoir que la perfection alléguée de la vente ne la dispensait pas d’accomplir, ce qu’elle n’établit pas avoir fait ; que dans ces conditions elle a commis une faute susceptible d’engager sa responsabilité délictuelle« .

L’arrêt déboute ensuite Madame S. de sa demande condamnation de la banque en rappelant que « Considérant ceci exposé qu’en application de l’article 1147 du Code civil, dans sa rédaction applicable au présent litige, le banquier, prêteur de deniers, n’est tenu à l’égard de son client d’un devoir de mise en garde quant aux capacités financières de remboursement et au risque d’endettement de l’emprunteur, qu’en présence d’un risque excessif ; qu’il se doit donc de vérifier que le financement accordé est adapté aux capacités de remboursement de l’emprunteur » ;

La Cour d’appel reconnaît ensuite que la société CINCINNATUS était coupable de ne pas avoir averti des risques de l’opération « Considérant ceci exposé que, tenu d’une obligation de conseil et d’information à l’égard de son client, le conseil en gestion de patrimoine doit informer ce dernier des conditions auxquelles le succès de l’opération financière projetée est subordonné et des risques qui découlent du défaut de réalisation de ses conditions ;

qu’il appartenait donc au conseil en gestion de patrimoine d’informer Mme S. sur ses obligations et sur les risques encourus du fait des aléas susceptibles d’être rencontrés dans l’exécution de ces travaux ; que, peu importe à cet égard que l’aléa tenant à la commercialisation rapide des lots ait été levé à la date de l’investissement. »

Le préjudice lié à des différents manquements du notaire et du commercialisateur est une perte d’une chance de ne pas avoir investi convenablement.

De manière souveraine, la Cour a fixé l’indemnisation à 50 % de la perte réelle, ce qui apparaît faible. Dans un autre dossier jugé par la même Cour, la perte d’une chance avait été fixée à 90 %.

Malgré ces quelques remarques, et le fait que la Cour n’ait pas statué sur l’obligation de prévoir une garantie extrinsèque, la décision est favorable pour les investisseurs et devrait, espérons le, faire jurisprudence.

Auteur : Me Thibault du Manoir de Juaye, avocat à la Cour.
Publié par Erin B. le 19 mars 2018.

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