Responsabilité du notaire dans une opération de défiscalisation

La Cour d’appel de Bordeaux a rendu le 2 Novembre 2023 une décision intéressante pour un programme de défiscalisation qui avait connu bien des déboires.

Comme cela est fréquemment le cas en matière de défiscalisation la vente avait été conclue en l’état futur d’achèvement dans le cadre de la loi Demessine qui a pour objectif la revitalisation rurale.

Des problèmes constructifs sont apparus, avec notamment l’affaissement du mur de soutènement de la route qui contourne la résidence et au pied duquel elle a été construite :
– Le classement en résidence de tourisme a été refusé par la préfecture, 
– Un arrêté municipal en date du 7 octobre 2013 a interdit l’accès aux bâtiments en raison du péril représenté par cette situation.

Les investisseurs lésés avaient alors intenté l’action  ayant conduit à la décision de Bordeaux.

La procédure a été particulièrement longue puisque une première décision a été rendue par la Cour d’appel de Pau, arrêt qui a été ensuite cassé par la Cour de cassation qui a renvoyé l’affaire devant la Cour de Bordeaux.

La Cour de cassation avait cassé la décision pour les raisons suivantes :

« Il résulte de ce texte que le notaire est tenu d’informer et d’éclairer les parties, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets, notamment quant aux incidences fiscales, de l’acte auquel il prête son concours.

7. Pour rejeter la demande des acquéreurs, l’arrêt retient que l’absence de classement en résidence de tourisme, l’impossibilité de mise en location et le redressement fiscal subséquent sont liés, non pas à un marché défaillant dès l’origine, mais au défaut de livraison consécutif à des problèmes de construction, spécialement aux défaillances du mur de soutènement de la route contournant les immeubles, que le notaire ne pouvait suspecter au jour de la vente.

8. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si le notaire n’avait pas manqué à son obligation d’information et de conseil en s’abstenant d’attirer l’attention des acquéreurs sur le risque de perte des avantages fiscaux en cas de refus de classement de l’immeuble en résidence de tourisme, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision’.«  

Pour sa part la Cour d’appel de Bordeaux a rappelé également de manière claire l’étendue du devoir de conseil du notaire.

« Il est certes constant qu’il n’appartient pas au notaire, dans le cadre de son devoir de conseil, de se prononcer sur l’équilibre économique de l’opération envisagée par les personnes auxquelles il prête son concours ni sur son opportunité de même qu’il n’est pas tenu de les informer d’un risque d’échec du programme immobilier qu’il ne pouvait suspecter au jour de la passation de l’acte.

Il est toutefois tenu d’informer et d’éclairer les parties, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets, notamment quant aux incidences fiscales, de l’acte auquel il prête son concours.

Cette obligation de conseil est d’autant plus forte que le notaire est le partenaire habituel de la société qui commercialise ou réalise le programme immobilier et qu’il est imposé aux acquéreurs.

Tel était le cas en l’espèce, Me [Z] étant particulièrement impliqué dans l’opération puisqu’il n’avait pas été choisi par les époux [M], avait donc été imposé par la SCCV, qu’après la passation de l’acte, c’est lui qui procédait aux appels de fonds et qu’il entretenait une proximité telle avec les responsables du programme qu’il sera impliqué dans les différents faits délictueux reprochés à ces derniers « .

Elle a également considéré que le notaire aurait rappelé aux investisseurs lésés que les règles relatives au droit de rétractation n’avaient pas été respectées.

Cette décision est donc pleinement satisfaisante sur le plan des principes mais la Cour de Bordeaux n’a pas été très généreuse sur le montant des dommages-intérêts.

Auteur : Me Thibault du Manoir de Juaye, avocat à la Cour.
Publié par Erin B. le 23 novembre 2023.


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Un contribuable domicilié en Chine engage la responsabilité du notaire

Un contribuable domicilié en Chine a acheté un bien en vue de d’obtenir une réduction d’impôt de 25 % telle que prévue à l’article 199 septdecies du Code général des impôts. Or, cette disposition ne s’applique qu’aux résidents français.

Le contribuable a alors engagé la responsabilité du notaire ayant rédigé l’acte en estimant qu’il avait défailli dans sa mission de conseil.

La Cour d’appel de Paris vient de lui donner raison par décision en date du 7 novembre 2023 en ces termes : « En revanche, la SCP …. qui était tenue d’informer son client sur l’ensemble des conditions requises pour bénéficier de l’avantage fiscal recherché par M. [R] dans le cadre de l’achat immobilier qu’il envisageait a manqué à son obligation d’information et de conseil ». 

Sur le fond, il faut approuver cette décision mais l’indemnisation octroyée par la Cour est cependant très chiche : seulement 5000 euros.

Rappelons que les opérations de défiscalisation sont risquées et sont semées d’embuches, de pièges voire d’arnaques.

Auteur : Me Thibault du Manoir de Juaye, avocat à la Cour.
Publié par Erin B. le 22 novembre 2023.


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La Cour d’appel de Reims reconnait le défaut de conseil du CGP

La Cour d’appel de Reims a rendu, le 6 décembre 2022, un arrêt faisant droit aux demandes d’un investisseur. Ce qui est intéressant dans cette décision, c’est que la Cour d’appel a reconnu le défaut de conseil du Conseil en gestion de patrimoine, qui avait fait souscrire le produit .

Elle a estimé que l’investisseur malheureux, s’il avait été utilement conseillé, avait une chance sur deux de ne pas souscrire le produit. Et en conséquence, elle a estimé que la perte d’une chance était égale à 50% de l’investissement litigieux.

Sur le plan anecdotique, les faits étaient assez atypiques.

Courant 2006, le demandeur, joueur de football professionnel depuis 2004, s’est adressé à la société FC ASSOCIES, conseil en gestion de patrimoine spécialisé dans l’accompagnement patrimonial dédié au monde du football professionnel. De la décision, il ressort que son revenu annuel s’élevait à la modique somme de 800.000 euros à l’age de 22 ou 25 ans.

De décembre 2006 à décembre 2007, le demandeur a réalisé trois opérations de défiscalisation conseillées par la société FC ASSOCIES, en achetant des biens immobiliers à usage locatif en secteur sauvegardé proposés par ce commercialisateur, financés par des prêts in fine auxquels étaient adossés des contrats d’assurance vie sur lesquels il abondait mensuellement, de sorte que pendant la durée des prêts, il ne remboursait que les intérêts bancaires, entièrement déductibles des revenus, et que les contrats d’assurance vie adossés aux prêts lui permettaient, après cessation de l’avantage fiscal, soit de conserver l’immeuble en remboursant le crédit avec les fonds de l’assurance vie, soit de vendre celui-ci en remboursant l’emprunt par le fruit de la vente.

Le demandeur avait réalisé prés de 800.000 euros d’investissement répartis sur trois appartements. Ces investissements ont été réalisés dans le cadre du dispositif dit Malraux.

Le 1er avril 2009, la société FC ASSOCIES a établi un plan d’action patrimonial.

Courant avril 2010, la société FC ASSOCIES a réalisé un audit d’investissements 2009-2010 mentionnant notamment la valeur des investissements du demandeur la charge d’emprunt, les revenus locatifs, la valeur en nantissement, et le montant des versements programmés mensuels sur les contrats d’assurance vie.

En décembre 2019,le demandeur a acheté deux appartements supplémentaires .

Une blessure a mis fin à sa carrière.

Constatant qu’après avoir effectué des remboursements pour un montant total de l’ordre de 900.000 euros pour des biens d’une valeur totale de l’ordre de 669.000 euros, alors que restait due aux différents établissements de crédit la somme de 1.561.756 euros, par actes d’huissier en date des 11 et 15 juin 2018, le demandeur a assigné devant le tribunal de grande instance devenu tribunal judiciaire de Reims la Sarl FC ASSOCIES

La Cour a tout d’abord rappelé que « le conseil en gestion de patrimoine doit guider son client dans les choix des placements qui s’offrent à lui et l’éclairer sur les conséquences juridiques et fiscales de ses choix. Il doit se livrer à une appréciation objective et subjective de l’opération qu’il préconise ainsi que tout mettre en oeuvre pour guider son client dans des choix adaptés à ses besoins et ses objectifs.

Il est tenu d’un devoir d’information portant sur les conditions des projets conseillés, telles les conditions pour bénéficier des exonérations fiscales, ainsi que d’un devoir de conseil, visant à éclairer son client sur l’opportunité des choix à exercer.

L’information doit être délivrée préalablement à l’investissement et non pas postérieurement à l’investissement.
Pour ce faire, il doit se renseigner sur la situation financière et patrimoniale de son client, les connaissances de celui-ci en matière financière et ses objectifs d’investissement.

Il doit informer son client non seulement sur les avantages que présente la solution d’investissement proposée mais également sur les inconvénients qui en sont le corollaire.

Il doit également vérifier que le support d’investissement choisi répond au profil de gestion en adéquation avec les besoins et objectifs de son client.

C’est sur lui que pèse la charge de la preuve du respect de ces obligations.« 

Elle s’est également appuyée sur la charte de la chambre professionnelle des conseils en gestion de patrimoine indépendants.

Puis, la Cour a jugé que l’affaire n’était pas prescrite puisque ce n’est qu’à compter de 2017 que le demandeur avait eu connaissance de la valeur de ces biens.

Pour condamner la société FC associés, elle a jugé que l’investissement proposé était sur le long terme, compte tenu des obligations fiscales d’immobilisation. Mais que la carrière d’un footballeur était par essence très courte et à la merci d’une blessure ou d’un mauvais résultat.

Le préjudice moral a été évalué à la somme de 5000 euros.

Auteur : Me Thibault du Manoir de Juaye, avocat à la Cour.
Publié par Erin B. le 21 décembre 2022.


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